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La Révolution Française à Nogent le Rotrou

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La Révolution Française à Nogent le Rotrou
  • Nogent-le-Rotrou et son district durant la Révolution française avec des incursions dans les zones voisines ( Sarthe, Orne, Loir-et-Cher voire Loiret ). L'angle d'attaque des études privilégie les mouvements sociaux et les archives locales et départemental
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14 décembre 2015

« Juste prix » et police des marchés.

Sellier paris 1709

Du lieutenant-général de police aux fonctionnaires locaux, les autorité de l’Ancien régime soulignaient la nécessité  d’assurer  « le juste prix » en matière de produits de première nécessité et particulièrement en ce qui concernait le grain. Cette conception pouvait se résumer ainsi : pour être équitable les prix ne devaient ni mécontenter les marchands ni léser les consommateurs. Ils étaient fondés sur un idéal de modération, un prix était jugé « juste » quand les marchands se réservaient un bénéfice modeste et que la masse la plus fragile de la population qui vivait dans un état de pauvreté permanente n’en pâtissait pas excessivement, c’est-à-dire qu’elle pouvait accéder aux subsistances. En temps « normal », le juste prix était le prix courant[1] fixé par une sorte de consensus. Lorsque les prix excédaient un certain seuil, on considérait alors que les marchands faisaient du tort à la société. D’autant que le marchand était souvent regardé avec méfiance par la « police »[2]. Le commerce dans son ensemble supportait toujours les stigmates que théologiens et moralistes lui avaient infligés. Dans la littérature religieuse populaire, le marchands était très souvent le dernier dans l’ordre du salut, il restait le prototype du menteur, voire du voleur (les élites apprennaient durant leurs étude classiques que Mercure est à la fois le dieu protecteur des commerçants et des voleurs ). La plupart des Français continuaient de tenir le commerce comme une condition peu respectable jusqu’à la fin du siècle du XVII° siècle.. Dans ces conditions, la réputation des marchands de grains était encore plus détestable ( ainsi que celle des meuniers ).

Sous l’Ancien régime, la « police » et le peuple attribuaient souvent la pénurie ou une forte augmentation  des prix aux menées des marchands. Ainsi dans son étude sur les  origines de la crise de 1692, le commissaire Delamare écrit[3] :

« Cependant comme il ne faut qu’un prétexte aux marchands mal intentionnez et toujours avides de gain, pour les déterminer à grossir les objects du côté de la disette, ils ne manquèrent pas à profiter de celuy-cy ; on les vit aussi-tost reprendre toutes les allures ordinaires et remettre en usage toutes leurs mauvaises pratiques pour faire renchérir les grains : societez, courses dans les provinces, faux bruits répandus, monopoles par les achats de tous les grains, surenchères dans les marchez, arremens de grains en vert ou dans les granges et les greniers, rétention en magasin ; ainsi tout le commerce se trouva réduit à un certain nombre d’entr’eux qui s’en estoient rendus les maistres. »

Dans ces temps de crise  le monopoleur devenait une obsession. En 1693, le prix du grains augmenta sans raison apparente, La Reynie, premier lieutenant de police de Paris,  en imputa la responsabilité aux monopoleurs[4].

En cas de  pénurie, le juste prix n’avait plus aucune corrélation avec le prix usuel corrompu par les conséquences du monopole. Pour la plupart des administrateurs,  le juste prix dans ces situations exceptionnelles devenait celui qui assurait la paix sociale ce qui nécessitait une intervention de leur part pour l’imposer aux marchands. Il importait alors d'appliquer sévèrement les règlements qui prohibaient la vente des grains dans les greniers et ordonnaient de fournir les marchés, cependant qu’en période d'abondance , il n'y avait aucun inconvénient à adoucir la fermeté des interdictions, écrivait Levignen intendant d'Alençon[5]. Le plus souvent cette intervention consistait en  une « taxation » ou détermination des prix par les fonctionnaires locaux. En effet, pour les administrateurs locaux la liberté du commerce était une tolérance permise par la société, la liberté du commerce était relative elle dépendait des conditions de l’approvisionnement local et de la volonté des autorités locales. Autorités locales qui,  très souvent  isolées, ne savaient pas toujours quelles étaient leurs compétences en la matière et de quelles autorités elles disposaient[6].

Ces mesures de police des marché découlaient du fait que sous l’Ancien régime, les céréales étaient considérés comme différents de toute autre denrée, en effet, en tant qu’article de première nécessité leur commerce ne pouvait être comparé à celui d’autres produits, le grain était un substance vitale pour des millions de consommateurs. Dans le cas du commerce du grain, la moindre pénurie menaçait la partie la plus vulnérable de la population. La « police » jugeait donc que ceux qui pratiquaient ce commerce endossaient des responsabilités fortes envers la société, comme si ce commerce était  comme une sorte de « service public ». Des restrictions étaient imposées aux marchands qui ne touchaient pas les autres commerçants. Ils devaient se contenter d’un gain « juste et légitime » fondé sur leur travail, et surtout ne pas spéculer en jouant sur l’offre et la demande. La « police » présumait que le grain d’un marchand ne lui appartenait pas totalement, en tant que source première de subsistance le grain était un « bien commun » sur lequel la société avait des droits et les autorités locales estimaient que c’était à elles de faire respecter ces droits.

 

 

 



[1] Pour Turgot, « le juste prix » était toujours censé représenter le prix du marché que la période fût calme ou troublée. ( voir lettre du 16  juillet 1775 de Turgot à l’Intendant d’Alençon, AD 61, C 90 ).

[2] Ici le terme désigne ceux qui étaient chargé de faire appliquer la police des marchés.

[3] Nicolas Delamare. Traité de police. Paris, 1729 ( seconde édition ), II, p.886. Cité dans S. L . Kaplan. Le pain, le peuple, le Roi. La bataille du libéralisme sous Luois XV. Paris : Perrin,1986.Pp ; 53 -54.

[4] La Reynie à Delamare, 28 juillet 1693 ( BN, mss. fr.21633, fol.283-284.

[5] Levignen à Bertin, août 1761, C 89 AD Orne

[6] Lettre de Morin de Nogent-le-Rotrou à l’intendant d’Alençon, 13 octobre 1773, AD61 C 89.

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